Les chats de mon père

Mon père est décédé il y a huit ans. Il ne m’a jamais vraiment parlé de ses chats.
Moi, j’ai encore un peu de temps pour parler des miens.

Le dernier en date, c’était Ciboulette — mais on l’appelait aussi Garfield.
Ciboulette, parce qu’au départ, tout le monde pensait que c’était une chatte enceinte, tant il était gros. Plus tard, on a appris que c’était un mâle.
Son maître — ce petit branleur, comme on disait — n’en avait rien à faire. On l’a recueilli au cabinet.
Quelques mois plus tard, il a disparu. Le maître serait parti avec lui en déménageant.
Il manque encore à certains patients, même après cinq ou six mois.

Milou appartenait à mon fils, à Savigny.
La nuit du 31 décembre 2014, je suis rentré et je ne l’ai pas vu. Il n’est jamais revenu.
Quelques mois plus tard, je l’ai retrouvé enseveli sous la neige, à cinq mètres de la chatière de la porte.
Il y avait encore des traces de sang figé sur ses flancs.

À l’adolescence, un jour, mes frères, mes sœurs et moi avons entendu des miaulements venant du chantier voisin.
Avec mon frère, on a escaladé le mur pour y entrer. Le chantier était temporairement abandonné.
Là, dans un coin, des chatons étaient restés prisonniers dans du goudron. Il provenait d’un tonneau renversé.

À partir de ce moment-là, ma mémoire est vide. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de ces pauvres bêtes.
Mon frère dit que notre père les a sauvés.
Mais moi, je pense qu’il n’y avait qu’une seule manière de les libérer : abréger leur souffrance.

Je reviens aux chats de mon père.

Parfois, à ce propos, je taquine ma mère en lui demandant si elle a des nouvelles d’eux.
Elle répond toujours naïvement que « c’est une vieille histoire »…
et m’explique que son mari, mon père, avait perdu un frère, tout petit, vers l’âge de quatre ou cinq ans,
et que sa mère lui avait donné des chats pour qu’il se sente moins seul.
Et que ces chats sont sûrement déjà morts.

Peut-être.

Mais ces chats que je n’ai jamais vus, continuent à vivre en moi.

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