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  • Automne

    Je suis sorti me balader cinq minutes. C’est un dimanche après-midi, avec son ennui typique et éternel.
    Je ne suis pas triste, tout va bien, mais sur ce chemin que j’emprunte chaque jour pour aller au travail, je me suis dit qu’il restait peut-être encore quelques prunelles à cueillir.
    J’ai fait deux allers-retours pour les trouver.

    Nous sommes le 12 octobre. Il y a un mois encore, on voyait ici beaucoup de ces baies, ainsi que des cornouillers rouges, visibles même le soir. Ce soir, il n’y a plus de baies rouges, et ces bleues foncées me jouent à cache-cache.

    C’est l’automne dans plusieurs sens : ma vue est moins bonne, je ne marche plus comme avant, la nuit tombe plus vite et le temps m’apporte sa nostalgie.

    Chante encore, Hayedeh, même maintenant, trente-cinq ans après ta mort subite :

    Que l’automne est triste,
    La fleur de notre amour a perdu ses ailes.
    La saison froide aux cent feuilles tombées
    Est, pour les fleurs, le jour de la mort.

    Et puis je pense à mon neveu, et à notre discussion de ce matin.
    Il est plus optimiste que moi, citant un autre poème et répétant cette phrase :
    « Encore un peu de nuit existe. »

  • Mon rêve, le plus philosophique

    J’ai rêvé ainsi :

    À la maison, il me fallait un outil de bricolage. Plus tard, je me retrouve dans un magasin d’outils qui devient soudain une librairie, la Fnac.
    Je sors avec un livre à la main. Mais je ne l’ai pas payé.

    Première pensée : la sécurité va me suivre. Mais non, personne derrière moi.
    Deuxième pensée : je retourne payer, ou pas ?
    Je dois payer, ce n’est pas correct autrement.
    Mais non, un livre n’est rien pour eux, ils gagnent assez. Et puis on m’a tellement arnaqué que j’ai bien le droit de tricher une fois.

    Finalement, je tranche : Je vais retourner payer, ce sera classe.
    Et j’imagine l’image de l’homme honnête, inconditionnel, sous les regards admiratifs des clients alignés à la caisse.

    Je retourne. Mais il n’y a personne. Aucun spectateur. Même pas sûr qu’il reste des caissiers.

    L’interprétation ? Peu importe.
    Ce qui demeure, c’est ce sentiment étrange et merveilleux : la découverte que je suis un mélange d’homme moral et d’homme narcissique.

  • Mon ombre

    J’ai félicité Stéphane pour la naissance de son petit-fils Jules, et nous avons parlé de ses découvertes sur la petite enfance. L’enfant qui commence à prêter attention aux visages, dont le regard devient plus ciblé, les mouvements plus assurés… Un cheminement vers une maîtrise partiellement consciente, partiellement inconsciente — aboutissant à sa personnalité d’adulte.

    J’ai poursuivi la discussion en partageant une idée qui m’est chère : l’instant magique, selon moi, dans l’évolution d’un enfant, c’est lorsqu’il découvre son ombre. J’ai été témoin de ce moment à plusieurs reprises dans mon entourage familial ou amical. Un enfant s’immobilise, troublé, en prenant conscience qu’une forme le suit parfois… ou semble s’enfuir à d’autres instants.

    Après cette conversation, je me suis replongé dans mes réflexions intimes.
    Je ne me souviens pas du moment où j’ai découvert mon ombre, celle projetée par la lumière.
    Mais je peux décrire une autre prise de conscience, plus lente, plus diffuse : celle d’une autre ombre — celle que projettent mes comportements, mes idées, ma manière d’être.
    Une ombre moins visible, mais parfois plus lourde.

    J’ai certainement blessé des gens dans ma vie.
    Certains ont oublié. D’autres gardent peut-être cette blessure comme une ombre de moi qui traîne.
    Mais je suis aussi fier d’avoir fait du bien — cette ombre bienveillante que j’ai laissée derrière moi, et qui, parfois, couvre encore.

    Votre ombre s’est, elle aussi, certainement faite sentir dans le monde qui vous entoure. Pour le meilleur, pour le pire.
    Vous pouvez ne pas être conscient de cette entité, ce prolongement de vous-même.
    Vous pouvez ne pas vous intéresser au poids ou à la légèreté qu’elle fait peser sur les autres.
    Vous pouvez être scientifique ou philosophe, et tenir ce discours : « L’ombre n’existe pas. Elle est une simple absence de lumière. »

    Et pourtant, que vous le vouliez ou non, vous influencez le monde — par un effet qui dépasse votre perception.
    Prenez soin de votre ombre.

  • Par terre derrière un âne


    Un proverbe populaire iranien dit : « Par terre derrière un âne, n’attends que des ruades et des pets. »
    Je suis un être humain, et je ne cesse de penser à mes semblables.
    Je sais que dans les rapports internationaux, la faiblesse ne suscite pas la compassion, mais la prédation. Quand tu deviens faible, tes droits sont piétinés, tu es humilié — parfois même anéanti.
    L’histoire regorge de preuves, et le monde actuel ne fait que le confirmer.

    Un peuple civil est aujourd’hui attaqué par une armée puissante, et continue de tomber sous les bombes. J’espère qu’un jour, les survivants de ce génocide pourront témoigner de cette barbarie.

    Je pense à mon pays, et j’espère de tout cœur qu’il saura se défendre et ne jamais tomber face à cet ennemi israélien. Car jusqu’ici, ceux qui ont été les voisins de ce régime génocidaire n’ont récolté que des ruades et des pets.


  • Femme soumise, un pardoxe

    Ne me demandez pas quand exactement, ni avec qui. Je ne l’aurais pas dit, même si mes souvenirs étaient parfaitement clairs. Ce qui me reste, c’est une image, une sensation — comme un rêve ou un fantasme.

    Pendant une garde, encore interne en psychiatrie, j’interviens dans un service. Mon accent encore fort, ma maladresse de celui qui débarque… tout trahissait mon origine. Les deux infirmières présentes me posent les questions habituelles. Parmi elles :
    — En Iran, les femmes sont soumises. Comment tu vois la situation ici ?
    — Malgré les apparences, je ne vois que des femmes. On est tous humains, ai-je répondu.
    — Non. Ce n’est pas possible. Nous ici, on n’est pas soumises.

    Alors j’ai eu un éclair — ou un élan d’inconscience, mêlé à mon esprit joueur :
    — Montrez-moi que vous n’êtes pas soumises.

    Ce qui a suivi ne m’est jamais arrivé ailleurs. L’une après l’autre, elles ont retiré leur blouse, leur soutien-gorge, et se sont approchées. À la première, j’ai caressé le visage avant de guider sa tête vers le bas. La seconde s’est placée derrière moi, ses seins nus sur mes épaules.

    Ce souvenir, je ne sais pas s’il est vrai ou rêvé. Mais il est là. Un paradoxe gravé : deux femmes affirmant leur liberté en se soumettant à mon désir. La scène parfaite qu’un homme typique trouve idéale — et qu’une femme typique refuserait d’accepter.

    Le temps passe. L’image se brouille.

    Lors de mon dernier voyage en Iran, pendant une soirée, j’ai vu des femmes sans foulard, dansantes, rieuses, parfois dévêtues. Ce que j’ai toujours désiré, en tant qu’homme — et que les Iraniennes m’avaient refusé.

    Je garde maintenant ce souvenir-là, réel, limpide : ces femmes que l’Europe croit soumises, ôtant d’elles-mêmes les signes de soumission.

    Oui, je suis un homme, et j’aime les femmes en décolleté, en minijupes, sur la piste de danse. J’aime celles qui se conforment à mon désir.

    Mais je suis aussi philosophe. Et je me méfie des mots qui enferment et des regards qui réduisent.
    Entre soumise et libre, il y a un monde. Un monde de femmes, entières, vivantes, qui n’appartiennent à aucune de nos définitions.

    Je vous implore donc : lavez vos yeux avant de regarder les femmes.
    Lavez vos yeux, avant de leur demander de se conformer à ce que vous aimez voir.
    (Allusion à Sohrab Sepehri)

  • L’échec et la victoire

    Un passage de l’épopée perse :
    Rostam, le héros légendaire, rencontre son fils Sohrab sur le champ de bataille, sans que ni l’un ni l’autre ne sache leur lien de sang. Au terme d’un combat acharné, Rostam tue Sohrab. Ce qui suit est le deuil d’un père, accablé d’avoir ôté la vie à son propre fils.

    Fazel Nazari, poète contemporain, reprend cette histoire et écrit :

    Rostam est vainqueur, mais il suffit de lui demander ce qu’il a répondu à Tahmineh, la mère de Sohrab.

    Un vrai Iranien ne peut retenir ses larmes en lisant ce poème. Croyez-moi.

    Oui. Au sommet de la victoire, tu peux vivre l’échec le plus dévastateur de ta vie.

    Ces derniers temps, je n’arrête pas de penser à la victoire d’Israël. Oui, c’est une victoire incontestable sur la Palestine. Mais regarde les enfants tués par cette armée inhumaine, et tu comprendras que derrière ce triomphe se cache la faillite la plus misérable de ceux qui soutiennent cette politique.

  • Présomption d’antisémitisme

    Ce n’est ni la première fois aujourd’hui, ni la première fois depuis la guerre de douze jours entre Israël et l’Iran, que j’ai ce genre de discussion. Et ce conflit n’est pas non plus le premier du genre.

    Je viens d’échanger avec quelqu’un sur ce sujet, et j’ai ressorti mes phrases habituelles : un gouvernement qui tue des femmes et des enfants est une saloperie, et il doit être combattu par tous les moyens légaux et moraux.

    Cette fois, j’ai résisté à l’envie d’ajouter : « Mais attention, je ne parle pas des juifs, et je ne suis pas antisémite. »

    Et je reste convaincu qu’il est grave et délétère que, dès qu’on ose protester contre ce génocide en Palestine— on soit aussitôt suspecté d’antisémitisme.

    Je me dis donc : ne cède pas à cette atmosphère malsaine de culpabilisation. Continue à crier ton dégoût face à ce massacre d’innocents.
    Et celui qui te donne l’étiquette d’antisémite et t’invite à la silence?

  • Je pense à mes fleurs

    J’étais jeune, amoureux et romantique. Puis la vie m’est tombée dessus, comme un éclair dans un ciel serein.

    Je regarde derrière moi et je vois un quart de siècle passé dans ce que je peux appeler la vie d’un père, d’un mari, d’un bon médecin. Une vie qui ne fait que s’intensifier.

    Mais depuis quelques mois, une lumière est revenue. J’ai repris l’écriture, et ce matin, je me suis rappelé un passage d’un poème que j’avais composé dans mon premier quart de siècle :

    Et je pense à mes fleurs,
    Que l’automne
    Ne pourra jamais faner.
    Elles ont cédé leur vie
    À la sécheresse printanière.

    Je n’ai pas de souvenir du reste, ni d’avant, ni d’après ce passage. Peut-être était-ce déjà une prophétie de ce quart de siècle que j’allais traverser.

  • Menace existentielle

    Dois-je me convaincre des discours de Netanyahu ? J’y pense tous les jours sans réussir à décider.

    Je reformule ces discours sans trop les changer :

    1. « L’Iran est la cause de la misère de notre peuple. Si l’on ne se débarrasse pas de ce régime, la nation israélienne est vouée à la destruction. »
    2. « Nous, nation israélienne, avons devant nous un choix : reconquérir notre liberté ou périr. Il s’agit d’une question d’existence ou d’anéantissement. »
    3. « La lutte que nous menons n’est pas une simple bataille politique. C’est une lutte pour l’existence même de notre peuple. Si nous perdons, Israël disparaîtra. »

    Je me demande encore et encore. Peut-être qu’ils ont raison d’exterminer les Palestiniens. Peut-être qu’ils ont raison de vouloir se méfier de l’Iran.

    Et en avançant dans mes pensées, j’arrive à Poutine, qui attaque l’Ukraine au nom d’une prétendue menace existentielle pour la Russie. Je remonte plus loin dans l’histoire, et je me souviens de Saddam Hussein qui a attaqué mon pays pour la même raison.

    Mon esprit voyage encore plus loin, jusqu’aux nazis, et y entend le même discours de « menace existentielle ».

    Je termine cet article par un aveu : pour reformuler les discours de Netanyahu, j’ai utilisé des phrases tirées de Mein Kampf, en remplaçant l’Allemagne par Israël, et les Juifs par l’Iran.

  • Caricaturistes en caricature

    Je suis tombé sur la couverture de Charlie Hebdo : trois mollahs en turban.

    Je fixe leurs visages et je vois de grandes barbes tombant sur la poitrine, des turbans énormes, des nez proéminents et des vêtements noirs, amples.

    Et ma réaction, c’est : mais ce sont exactement les traits qu’on voyait dans les caricatures antisémites, surtout sous l’époque nazie.

    À ce type d’artiste, je dis : “Sale race toi-même, puisque c’est ton langage.”

    Pourquoi je me permets de dire ça ? Voici mes raisons :

    • À l’époque nazie, on voulait nous convaincre que les juifs formaient une “sale race.” Aujourd’hui, c’est la même mécanique contre les musulmans.
    • Ces caricaturistes me semblent incroyablement paresseux : toujours les mêmes traits exagérés, sans regarder la réalité des visages ni la diversité des gens. Mais allez apprendre autre chose que la provocation sans goût artistique.
    • Ils ne voient même pas la diversité au sein d’Israël : là-bas, tous ne ressemblent pas à l’image qu’Hitler se faisait des juifs — “orientaux”, barbus, mystérieux. Alors par pitié, ne recyclez pas ces clichés, et surtout, ne les appliquez pas aux musulmans.

    Ça me met en colère de voir l’Histoire se répéter dans le trait d’un crayon. Et j’aimerais qu’on évite une nouvelle catastrophe en se souvenant d’une chose : dans Mein Kampf, Hitler raconte qu’au début, il ne croyait pas que les juifs formaient un danger, mais qu’il a “ouvert les yeux” après avoir vu partout les mêmes images, les mêmes clichés. Qu’on le croie ou non, cela montre bien à quel point la répétition des caricatures et des stéréotypes peut finir par transformer une simple opinion en certitude fanatique. Et c’est ce qui me fait peur quand je vois aujourd’hui ces mêmes codes graphiques recyclés contre les musulmans.