Bahram, mon cousin, est mort de thalassémie à l’âge de 18 ans. J’en avais 23.
À l’époque, malgré les transfusions régulières, les patients atteints de thalassémie majeure étaient condamnés. Aujourd’hui, une greffe de moelle osseuse les guérit dans bien des cas.
Ce n’est que dix ans après sa mort que j’ai osé raconter cette histoire dans ma famille. Et maintenant, trente-trois ans plus tard, je peux même l’écrire ici.
Nous étions dans un grand parc naturel, à une dizaine de kilomètres de la ville, pour célébrer Sizdeh-Bedar, le treizième jour du calendrier iranien, où chacun est censé quitter la maison pour faire la fête dans la nature.
Je demande à tout le monde si quelqu’un veut aller aux toilettes. Seul Bahram me répond.
À l’époque, j’étais très croyant, et particulièrement respectueux des règles d’hygiène islamique. Le pot hygiénique — âftâbeh — était pour moi presque sacré comme pour tout musulman sensé se laver avec.
Nous marchons trente à quarante minutes avant de tomber sur une file d’attente d’une vingtaine de personnes. Trente à quarante minutes plus tard, c’est enfin notre tour. D’abord lui, puis moi.
Sur le chemin du retour, Bahram est soudainement joyeux, détendu, presque euphorique.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu étais silencieux et contrarié, et maintenant te voilà rayonnant, je lui demande.
Il ne répond pas tout de suite. Je repose la question, plusieurs fois. Et puis il finit par avouer, un sourire en coin :
— J’ai pissé dans leur âftâbeh.
Et aujourd’hui encore, je souris en pensant à cette révolte discrète et absurde, ce souvenir avec lequel il me fait encore des clins d’oeil avec une tendresse particulière.
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