Elle avait une quarantaine d’années quand je l’ai connue.
À force de couper et de se scarifier, elle avait les avant-bras plus épais que mes mollets. Elle vivait en foyer, et deux ou trois fois par mois, elle était internée — pour fugue, tentative de suicide, ou automutilation.
J’ai accepté de la prendre en charge en ambulatoire et un de ses premiers appels était pour me dire qu’elle était cachée dans sa planque habituelle et qu’elle ne voulait pas rentrer.
Je lui ai proposé de venir me voir en ville, pour éviter que les personnels du foyer ou de l’hôpital ne la voient.
Je me suis aussi engagé à ne pas révéler son passage à la police.
Elle a accepté.
On s’est assis sur une terrasse. Détendus.
Je l’ai accompagnée à regarder les filles passer, alors que les voitures de police parcouraient la ville à sa recherche.
Pour elle, c’était magique.
« Je n’avais jamais eu cette attitude d’acceptation », disait-elle régulièrement depuis cet après-midi mythique.
J’ai accepté l’évidence : avec ses problèmes de santé, il était très difficile de vivre.
J’ai donné mon accord de psychiatre à EXIT pour un suicide assisté, et celui-ci a validé sa demande.
Entre l’acceptation de son départ et le suicide lui-même, elle a vécu trois ou quatre mois de vrai bien-être.
Elle était tellement « heureuse », de bonne humeur, enthousiaste, que personne ne pouvait croire que, le jour venu, elle prendrait la potion.
C’est une patiente que j’ai accompagnée jusqu’à sa mort — une libération pour elle.
Je l’ai emmenée à Lausanne pour boire une vodka–Red Bull.
Je l’ai conduite dans son village natal.
Sur le chemin, elle m’a raconté ses déboires.
Et pour la première fois de sa vie, en parlant des agressions qu’elle avait subies, elle ne pleurait pas.
C’est elle-même qui l’a constaté.
Et encore aujourd’hui, après plusieurs années, en regardant ma bibliothèque, je tombe parfois sur une vieille tablette que je n’utilise plus.
Dedans, il y a les vidéos qu’elle m’avait transmises.
Dont celle où elle me pousse sur une balançoire.
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